Ce rapport a été préparé pour le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) et a été rédigé par Stephen MacGregor, David Phipps, Cathy Malcolm Edwards, Jen Kyffin, Virginie Portes.
OBJECTIF
DU RAPPORT
Depuis
plus de 20 ans, l’intérêt ne fait que croitre envers la manière dont le
secteur de la recherche au Canada peut soutenir l’impact de la recherche,
expression qui renvoie à « l’influence qu’exercent les études savantes
et l’investigation créatrice sur la société au sens large, qu’elle soit
intentionnelle ou bien inattendue, avec effet aussi bien immédiat que
prolongé » (Fédération des sciences humaines, 2017, p. 4[1]). On appelle « mobilisation des connaissances » (MdC) les
efforts qui visent à amplifier l’impact de la recherche hors de l’université. À ce jour, la MdC s’est concentrée soit
sur (a) les politiques publiques qui motivent, en amont, les retombées
désirées (p. ex., Bandola-Fill, 2019 ;
Boswell et Smith, 2017 ; Williams et Grant, 2018), soit sur (b) la migration des résultats de la
recherche, entre le projet qui permet de les obtenir et l’usage qui en est
fait, en aval, par le milieu d’intervention, et l’évaluation de cet usage
(p. ex., Edwards et Meagher, 2019 ;
Morton, 2015 ; Budtz
Pedersen et coll., 2020). En comparaison, on en sait
beaucoup moins sur les
fonctions qui relèvent de la MdC dans les établissements de recherche et sur
le rôle de ceux-ci dans l’efficacité de l’impact. Ce rapport décrit le rôle
des universités de recherche pour l’avenir de la MdC et de l’impact de la
recherche, rôle critique s’il en est, puisque ce sont elles qui assurent le
relai entre les besoins des gouvernements et des subventionnaires et ce que
les chercheurs et chercheuses et leurs partenaires peuvent livrer.
1. LE POINT SUR LA MdC et L’impact DE LA RECHERCHE – D’où venons-nous ?
En 2006, le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (CRSH) renouvelait la structure de son programme de subventions, exigeant dans chaque demande la formulation d’une stratégie de MdC (à savoir, un plan indiquant l’impact attendu du projet sur les différents publics cibles, ainsi que les efforts qui seraient fournis pour produire cet impact). Cette mise en relief des stratégies de MdC pousse le milieu de la recherche à décrire la manière dont il entend produire des retombées pour la société (la motivation vient de la mission de chaque établissement), ce qui distingue nettement la recherche canadienne de nombreux autres exemples internationaux (le Royaume-Uni, notamment), où les chercheurs et chercheuses doivent plutôt expliquer la nature des retombées produites (la motivation vient de l’évaluation). Considérant les deux approches utiles, le rapport convoque le concept de « culture de l’impact », soit la capacité « de déterminer les objectifs et les indicateurs d’impact appropriés, d’évaluer et d’optimiser la trajectoire de l’impact en se basant sur des données probantes, et de réfléchir aux habiletés qui sont nécessaires pour adapter les méthodes à différents contextes » (Bayley et Phipps, 2019a, p. 3). La notion de « culture de l’impact » reconnait que les retombées sont influencées par les actions et les évènements qui se déroulent non seulement sur le plan des individus qui font la recherche, mais aussi sur celui des établissements et des systèmes dans lesquels s’insère la recherche. Comme les établissements de recherche commencent à développer leur culture de l’impact, le besoin d’étayer la pratique par des résultats se fait plus pressant, ce qui explique le contexte où nous nous trouvons présentement (tableau 1).
Tableau 1
Évolution de
la MdC et de la question de l’impact : résumé
Passé
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Présent
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Avenir
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La pratique et le savoir
correspondent aux modèles linéaires de la MdC, comme le transfert
technologique ou les bureaux de commercialisation.
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Le besoin de modèles
relationnels et systémiques est reconnu, mais le soutien des établissements
est encore limité.
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L’exploration
du fonctionnement simultané et contingent des différents modèles de MdC
caractérise le domaine, en même temps que la question de l’impact se
rapproche du cœur de l’activité de recherche.
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Il existe une certaine conscience du fait que la recherche
universitaire devrait avoir un impact sur la société.
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Les systèmes de production
d’impact motivés par la mission ou l’évaluation prolifèrent.
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La MdC factuelle domine, grâce au renforcement des capacités
individuelles et institutionnelles à produire et à entretenir une culture de
l’impact.
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La théorie de la MdC est détachée
de la pratique.
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Des liens de plus en plus
nombreux s’établissent entre praticien·ne·s et chercheur·se·s du domaine de
la MdC.
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La
pratique de l’impact et le savoir sur la question s’internationalisent.
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2. LE POINT SUR LA MDC ET L’impact DE LA RECHERCHE – Où EN sommes-nous ?
Le rôle des universités dans la MdC
D’un point
de vue très général, les établissements de recherche déclinent les fonctions
de MdC selon les trois générations de modèles employés pour représenter
la MdC :
- les modèles linéaires, selon lesquels la recherche est produite puis
mise à la disposition des utilisatrices et utilisateurs, dans une relation qui
se déroule surtout à sens unique ;
- les modèles relationnels (comme les réseaux
et les partenariats), qui s’inspirent des modèles linéaires, mais se concentrent
sur l’amélioration des relations entre personnes issues de la recherche et de
la pratique, dans le but de favoriser le développement et la mobilisation de relations
entre ces deux sphères ;
- les modèles systémiques, qui rejettent les processus linéaires au profit d’une méthode plus
complexe supposant l’interaction, la cocréation et l’utilisation concrète des données à tous les
niveaux d’un système, de même que la détection et l’abolition des obstacles
qui nuisent à l’utilisation concrète et factuelle de la recherche et du
savoir pratique (voir le résumé de Campbell et coll., 2017, p. 212).
Chaque « génération » témoigne de l’apprentissage acquis au fil du temps et des efforts réalisés pour corriger les faiblesses des théories antérieures. En outre, les modèles de MdC centrés sur les relations et les systèmes accueillent plus ouvertement les différentes formes de savoir ou manières d’apprendre, comme le montrent les avancées de la recherche interculturelle, notamment auprès des communautés autochtones. Les travaux les plus récents accordent davantage d’attention à la conception de modèles opérationnels, d’outils et d’exemples de cas où la théorie des systèmes est appliquée à la MdC. La manière dont les différentes personnes occupant différentes fonctions dans la MdC au sein des établissements pourraient travailler en synergie, en surmontant les contraintes et en développant leur efficacité collective, est une piste de recherche prometteuse pour l’avenir.
3. LE POINT SUR LA MdC et L’impact
DE LA RECHERCHE – Où allons-nous ?
La
question de l’impact s’inscrira au cœur de l’activité de recherche.
On peut déjà affirmer qu’à l’avenir, l’impact fera
partie de la description des programmes de recherche, et que la distinction
entre les systèmes motivés soit par la mission, soit par l’évaluation en
viendra à s’estomper : on verra les gouvernements encourager la
production de retombées motivées par la mission des établissements. Ces
développements devraient, en retour, améliorer la performance des
établissements dans les classements. Le supplément du Times sur l’enseignement
postsecondaire (Times Higher Education,
THE) a inauguré en 2019 son classement en fonction de l’impact (Impact
Rankings[2]),
dans lequel les universités se positionnent en fonction de leur incidence sur l’avancement des
Objectifs de développement durable de l’ONU. Constatant la place
occupée par l’impact dans les classements nationaux (p. ex, le REF
britannique) et internationaux (p. ex, le THE), les établissements se
mettent progressivement
au diapason.
À mesure que la question de la MdC et de l’impact devient
centrale à l’activité de recherche, elle devient centrale également dans la
promotion et la titularisation (PT). On sait que le contexte de l’évaluation en vue de la PT, propre à
chaque université, joue un rôle essentiel dans la compréhension, la reconnaissance
et la récompense des travaux ayant une portée sociale (Lambert-Pennington,
2016) ; on sait aussi que les politiques de PT en vigueur au Canada ne
reconnaissent pas de façon uniforme les activités de MdC (Barreno et coll.,
2013). Mais comme les établissements reconnaissent toujours davantage la
valeur de la MdC comme facteur concurrentiel dans les classements
internationaux basés sur l’impact, les politiques de PT et leur application
dans les départements, les facultés et les sénats des universités devront
évoluer de manière à récompenser
ses activités.
La capacité individuelle et institutionnelle à
entretenir une culture de l’impact sera renforcée.
À mesure que les établissements en arrivent à valoriser l’incidence de la
recherche, que ce soit dans leur énoncé de mission, leurs pratiques d’évaluation
ou par leur souci du classement, ils doivent bâtir leur culture organisationnelle de l’impact,
de même que celle de leur corps professoral, de leur population étudiante et
de leur personnel. Pendant les colloques, des ateliers et des séances de
renforcement des capacités sont offerts en grand nombre, mais il existe peu de
formations à l’heure actuelle sur l’instauration d’une culture de l’impact. Au fur et à mesure que les
chercheurs et chercheuses et les praticiens et praticiennes des différents
domaines de recherche et de pratique (science de la mise en œuvre, engagement
communautaire du savoir ou application intégrée des connaissances,
p. ex.) tisseront des liens, des cours seront reconnus (de la même
manière que le certificat KTPC est reconnu par la Faculté d’éducation
permanente de l’Université de Toronto) et des programmes d’études supérieures
complets, comportant des volets pratiques et théoriques, seront mis sur pied.
L’embauche de
personnel enseignant et administratif possédant une culture de l’impact
permettra de renforcer une telle culture au sein d’un établissement. À mesure que les universités
chercheront à améliorer leur classement dans le palmarès de l’impact, elles devront
renforcer leur capacité à favoriser des retombées. C’est une question qui devient toujours plus centrale dans les Plans de
recherche stratégiques[3],
par exemple, et qui conduira les établissements à investir dans les ressources
humaines et le renforcement des capacités de manière à consolider la culture
de l’impact. Des outils comme l’Institutional
Healthcheck Workbook (le « manuel d’évaluation du bilan de santé des
établissements ») de Bayley et Phipps (2019b) devraient être utiles
à cette entreprise.
La
pratique de l’impact et le savoir sur la question s’internationaliseront.
Partout dans le monde, des
chercheuses et chercheurs récoltent des données sur la MdC et l’impact, mais,
selon Powell et coll. (2017), partout dans le monde… les praticiennes et
praticiens ne s’en servent pas. Pour surmonter cet obstacle, les collaborations se multiplieront entre
le milieu de la pratique et le milieu du savoir, à l’exemple de celle qui
réunit l’équipe praticienne du RIRC et le programme de recherche RIPPLE de
l’Université Queen’s et a donné lieu à la présente publication (ainsi qu’à une
autre : MacGregor et Phipps, 2020). De telles
collaborations auront également tendance à s’internationaliser. Par ailleurs,
à ces collaborations entre individus correspondent des collaborations entre
pays. Ainsi, le Réseau Impact Recherche Canada collabore avec le réseau
étatsunien Advancing Research Impact for Society. Ensemble, les deux réseaux
travaillent à mettre au point une boite à outils favorisant l’impact de la
recherche et l’engagement des milieux d’intervention, destinée au groupe de
travail RISE d’Inorms, et projettent un colloque transfrontalier sur l’impact
pour 2021. Sous l’influence des classements internationaux basés sur
l’impact, comme celui du THE, la MdC, à l’avenir, verra s’élargir le réseau d’individus
et d’établissements qui, partageant une solide culture de l’impact, se
consacrent à mobiliser les résultats des recherches subventionnées au profit
de la société.
4. LE POINT SUR LA MdC et L’impact
– Comment y arriverons-nous ?
On peut prédire, sans trop de risque de se tromper, que la question des retombées deviendra un élément principal de l’activité de recherche, que les individus et les établissements consolideront leur culture de l’impact, et que la question de la théorie et de l’évaluation de l’impact s’internationalisera. Mais les universités suivent un modèle d’affaires encore assez proche de celui de l’Université de Bologne, la toute première, fondée en… 1088. Elles finissent pourtant par saisir les occasions qui se présentent, à l’interne comme à l’extérieur, quand elles décident de se rapprocher de l’idée « d’université perméable », terme forgé à l’Université de Lincoln à la fin de 2019[4] pour imaginer une université ouverte et en phase avec les collectivités régionales et mondiales. Voir le tableau 2 dans le rapport complet, où nous suggérons plusieurs points clés pour tirer parti de ces possibilités.
[1] La bibliographie suit le texte principal.
[2] https://www.timeshighereducation.com/rankings/impact/2019
[3] https://www.chairs-chaires.gc.ca/program-programme/strategic_research_plan-plan_recherche_strategique-fra.aspx
[4] https://staffnews.lincoln.ac.uk/2019/11/25/the-permeable-university-a-new-manifesto/