Tout ce que vous devez savoir sur les communautés praticiennes

Qu’est-ce qu’une communauté praticienne (CP) ?

Une communauté praticienne (on parle aussi d’un réseau d’échange de pratiques ou, plus souvent, mais maladroitement, d’une « communauté de pratique »), c’est un groupe formé de personnes qui partagent un intérêt pour un sujet donné ou qui ont des objectifs en commun, et qui se réunissent pour apprendre les unes des autres, échanger de l’information et réaliser leurs objectifs individuels et collectifs.

Quand une communauté praticienne est efficace, elle produit de nouvelles connaissances qui font progresser le secteur professionnel dans lequel elle exerce. Elle favorise également le développement d’une communauté soudée, dont les membres sont en contact fréquent.

La CP se forme concrètement, à l’occasion de rencontres en personne, mais depuis quelques années (et spécialement dans le contexte actuel de la COVID-19), elle se regroupe le plus souvent de manière virtuelle, à l’occasion d’activités de collaboration en ligne.

L’expression « communauté praticienne » (en anglais, community of practice) a été forgée par Jean Lave, anthropologue de la cognition, et Etienne Wenger, théoricien de l’éducation, dans leur ouvrage Situated Learning: Legitimate Peripheral Participation, paru en 1991. Pour eux, une communauté praticienne est un groupe de personnes qui, partageant un intérêt, un questionnement ou une passion pour un sujet, élargissent leur savoir et leur expertise sur ce sujet grâce à des interactions suivies. La CP permet aux nouveaux d’apprendre des anciens, et à toute personne qui cherche à construire ses connaissances personnelles ou le savoir commun de profiter de l’expérience des autres, vécue ou en cours.

Bien des universitaires ont fait des recherches sur les CP dans les trente ans qui se sont écoulés depuis que Lave et Wenger ont nommé le concept, mais leurs définitions demeurent toujours assez semblables. Pour Kimble, Hildreth et Wright (2000), par exemple, une CP est un groupe de personnes qui partagent un intérêt ou une passion pour une activité, ou qui apprennent à réaliser cette activité de mieux en mieux grâce à des interactions régulières ; pour Brown (2003), c’est un groupe de personnes qui occupent différentes fonctions et possèdent différents points de vue, mais qui s’engagent à travailler ensemble pendant une durée substantielle, afin de résoudre des problèmes et d’apprendre diverses choses ; pour Hernaez et Campos (2011), la CP est un mécanisme important permettant de produire, d’entretenir et de transmettre le savoir individuel, organisationnel et social.

Ramenons ces définitions à leurs éléments clés, ceux que Wenger met en évidence dans son article de 2010 intitulé « Communities of Practice and Social Learning Systems: The Career of a Concept ». Ce sont :

1) LE DOMAINE : les membres sont réunis par le besoin d’apprendre une même chose ;

2) LA COMMUNAUTÉ : leur apprentissage collectif a pour effet de les lier les uns aux autres ;

3) LA PRATIQUE : leurs interactions produisent des ressources qui influencent leur pratique (que celle-ci s’effectue ensemble ou séparément).

On soulignera toutefois, malgré ces ressemblances fondamentales, que les communautés praticiennes peuvent différer grandement les unes des autres. Certaines sont plutôt petites, et d’autres très grandes ; celles-ci, souvent, ont un noyau central et de nombreux membres en périphérie. Certaines sont locales et d’autres, internationales ; certaines se côtoient surtout en personne, tandis que d’autres n’existent qu’en ligne. Certaines se forment au sein d’un seul organisme et cherchent à rassembler des collègues ; d’autres sont ouvertes à divers organismes et ont pour objectif premier de créer des relations, difficiles autrement, entre des personnes que sépare une trop grande distance géographique. Certaines enfin, jouissant d’une reconnaissance officielle, peuvent compter sur un budget généreux et un soutien spécialisé, tandis que d’autres dépendent entièrement de contributions volontaires. Les CP sont utiles aux entreprises comme aux gouvernements, elles peuvent être conçues comme des outils pédagogiques, et bien d’autres choses encore.

Quels sont les principaux avantages des CP ?

Nombre de praticien.ne.s estiment que l’avantage principal d’une CP vient des échanges qu’elle favorise et qui permettent de résoudre des problèmes : échange sur des expériences, échange de connaissances et d’informations de toutes sortes. D’autres pensent plutôt que c’est le réseautage qui est sa plus grande force : les CP sont souvent considérées comme l’un des outils d’interaction professionnelle les plus efficaces, puisqu’elles permettent à des individus qui autrement ne se rencontreraient jamais de cultiver leurs réseaux professionnels.

Allee (2000) dresse une liste fort utile des avantages potentiels des CP :

1.            Elles aident au développement d’un langage, de méthodes et de modèles communs concernant des compétences précises ;

2.            Elles élargissent le bassin de personnes qui ont accès aux connaissances et au savoir-faire ;

3.            Elles assurent la pérennité des connaissances au sein de l’organisme ;

4.            Elles facilitent l’accès aux connaissances au sein de l’organisme ;

5.            Elles donnent du poids au partage de pouvoir et d’influence avec la structure formelle de l’organisme ;

6.            Elles aident les gens à accomplir leurs tâches ;

7.            Elles suscitent un sentiment d’appartenance stable envers les autres membres de l’organisme et envers l’organisme lui-même ;

8.            Elles favorisent un sentiment identitaire fondé sur l’apprentissage ;

9.            Elles contribuent au développement des habiletés et des compétences individuelles ;

10.          Elles ouvrent des possibilités aux membres et leur permettent de relever des défis.

On a déjà comparée la CP à « une fontaine d’eau fraiche virtuelle » – une forme de ressourcement. C’est un lieu où l’on peut apprendre qui fait quoi et parler à chaque personne de ce qu’elle fait. Fréquenter une CP permet d’ajouter de la perspective à sa compréhension et de développer une expertise, et quand la CP est virtuelle, elle n’est pas limitée par le temps et l’espace. Les membres d’une CP peuvent mettre au point un code et un langage commun en travaillant ensemble, et produire ainsi un milieu empreint de confiance, de respect mutuel et de réciprocité.

Comment mettre sur pied une CP ?

Hower et coll. (2014) répartissent dans quatre catégories leurs conseils pour mettre sur pied une communauté praticienne :

1. MARKETING. Concevoir un plan pour que les communautés qui existent dans l’organisme puissent socialiser. Libérer la créativité. Envisager l’intégration de matériel de promotion dans les programmes de formation existants, de même que l’usage des publications déjà en place au sein de l’entreprise et de leurs canaux de distribution, afin de rejoindre le plus de gens possible.

2. SOUTIEN. Beaucoup de CP ne voient jamais le jour simplement parce qu’elles n’ont pas de soutien, ou pas suffisamment. Prévoir la disponibilité d’une structure de gouvernance, d’une infrastructure et d’outils d’animation de qualité, afin que l’échange de connaissances puisse se faire et que le réseau puisse croitre. Intégrer des mesures d’aide efficaces afin d’orienter les résultats et d’accélérer le processus de valorisation dans l’organisme.

3. INTÉGRATION. À mesure que la CP se développe, mettre en évidence les processus qui illustrent la manière dont elle profite à ses membres tout en améliorant les résultats de l’organisme. Faciliter pour les membres l’intégration de la CP à leurs méthodes particulières afin d’en améliorer l’efficacité.

4. LEADERSHIP. Prévoir de la formation pour les responsables de la supervision et de la direction, afin qu’elles et ils comprennent le rôle des CP dans l’organisation de l’apprentissage et ne fassent pas obstacle au progrès.

La plupart des recherches soulignent l’importance cruciale du dialogue : c’est ce qui distingue les CP des autres forums en ligne ou des médias sociaux, ce qui permet de rassembler et de lier les membres de la communauté les uns aux autres. Quand ce dialogue est cultivé dans un environnement interactif bien conçu – en face à face, en ligne ou les deux –, il permet de mieux réfléchir et de mieux apprendre.

Quant à l’usage de la technologie comme moyen de réunir une communauté praticienne, Hoadley (2012) suggère de se concentrer sur quatre aspects :

 (1) mettre en contact des gens qui ont des pratiques similaires ;

2) fournir un site de stockage de l’information auquel tous les membres ont accès ;

 (3) fournir les moyens de discuter ;

 (4) faire connaitre la CP en divers endroits appropriés.

Les CP soulèvent aussi quelques difficultés, en particulier quand il s’agit de savoir pourquoi, comment et où les utiliser. Les personnes qui les organisent doivent s’assurer que les nouveaux membres sont bien intégrés, éviter l’inertie et la stagnation du réseau et empêcher la structure de nuire à l’échange de connaissances. Même si des obstacles doivent être surmontés, les avantages d’une communauté praticienne sont inestimables, et toutes les recherches soulignent les effets positifs de ce genre de regroupement.

Sources:

Allee, Verna. “Knowledge Network and Communities of Practice,” in OD Practitioner, Fall/Winter 2000.

Hoadley, Christopher. “What is a Community of Practice and How Can We Support It?” in Theoretical Foundations of Learning Environments, edited by David Jonassen and Susan Land. Routledge, 2012, pp. 287-300.

Hernáez, Olga Rivera and Eduardo Bueno Campos. Handbook of Research on Communities of Practice for Organizational Management and Networking: Methodologies for Competitive Advantage. IGI Global, 2011.

Hower, Mike, Michael Prevou, and Mitchell Levy. #Successful Corporate Learning tweet Book07: Everything You Need to Know About Communities of Practice. Happy About, 2014.

Kimble, Chris, Paul Hildreth, and Peter C. Wright. “Communities of Practice: Going Virtual,” 2000.

Wenger, Etienne. “Communities of Practice and Social Learning Systems: The Career of a Concept,” in Social Learning Systems and Communities of Practice, edited by C. Blackmore. Springer, 2010. 

Wenger, Etienne and Jean Lave. Situated Learning: Legitimate Peripheral Participation. Cambridge UP, 1991.