Prix 2025 pour le savoir engagé (catégorie « doctorat ») : Katrina Leclerc

Katrina Leclerc est lauréate du Prix 2025 pour le savoir engagé remis par le RIRC pour son projet intitulé Accès au savoir : Bibliothèque jeunesse, paix et sécurité.

À PROPOS DU PROJET

La jeunesse, la paix et la sécurité (JPS) sont plus qu’un programme politique : C’est un moteur de la transformation.

Dans le domaine de la paix et de la sécurité, les jeunes sont souvent considérés comme les leaders de demain. Mais pour ceux et celles d’entre nous qui travaillent dans le domaine de la JPS, il est clair que les jeunes jouent déjà un rôle de premier plan, souvent dans des conditions plus difficiles et avec moins de ressources. Grâce à mes recherches doctorales et à mon expérience en construction de la paix, j’ai compris qu’une participation significative des jeunes n’est pas seulement un objectif politique ambitieux; c’est une question de justice, de crédibilité et d’impact.

Ma recherche doctorale porte sur le discours des jeunes femmes militantes qui exigent de participer significativement à la prise de décision sur les questions de paix et de sécurité. S’inspirant de la théorie féministe et décolonialiste, de même que sur un travail de terrain dans des pays comme le Tchad, la République démocratique du Congo (RDC) et le Liban, j’explore la manière dont les jeunes s’engagent dans des cadres de politiques internationales, par exemple les agendas de l’ONU en matière de JPS et de Femmes, Paix et Sécurité (FPS). Plus précisément, ma question est la suivante : comment les jeunes interprètent-ils le terme « participation » et que faut-il pour que cette participation dépasse le stade de la pure forme?

Cette question n’est pas seulement théorique. Auprès de gouvernements et de mouvements jeunesse, j’ai en effet acquis une expérience pratique de l’élaboration et de la mise en œuvre de politiques nationales qui prennent au sérieux la voix des jeunes. J’ai cofondé la Coalition canadienne pour la jeunesse, la paix et la sécurité (CCYPS). J’ai été conseillère technique auprès de plusieurs gouvernements dans le contexte de l’élaboration de plans d’action nationaux sur la JPS. J’ai aussi dirigé le plus récent processus de dialogue avec la société civile du Canada dans le cadre du troisième plan sur la paix et la sécurité. Je suis d’ailleurs fière que certaines des initiatives auxquelles j’ai participé aient été reconnues comme des pratiques améliorées par le Secrétaire général des Nations unies.

Ce travail m’a néanmoins montré que de profondes lacunes subsistent. Trop souvent, on consulte les jeunes à la dernière minute, on leur demande d’approuver une politique à laquelle ils n’ont pas participé, ou on les inclut pour « cocher une case », plutôt que comme de véritables collaborateur.rice.s. Lorsqu’il est question de « participation », il faut se demander : Qui fixe l’ordre du jour? Qui a le pouvoir de décision? Qui faut-il tenir responsable de la mise à l’écart des jeunes?

Mon travail consiste à faire le lien entre la mobilisation à la base, la recherche universitaire et l’élaboration de politiques nationales et mondiales. Je pense que la recherche doit être au service des personnes les plus touchées par les questions en jeu, et dans le cas de la paix et de la sécurité, il s’agit souvent de jeunes qui reconstruisent leurs communautés chaque jour. Cette conviction n’est pas seulement théorique; elle est ancrée dans mon expérience et dans les relations que j’ai nouées au cours de la dernière décennie avec de jeunes militant.e.s et ceux et celles qui bâtissent la paix dans le monde entier.

À bien des égards, on doit encore se battre pour que les questions de JPS soient à l’ordre du jour des négociations. Des étapes clés ont été franchies depuis l’adoption de la résolution 2250 du Conseil de sécurité des Nations unies en 2015, mais de nombreux gouvernements et institutions tardent encore à traduire leurs engagements en pratique. Il existe de réelles tensions entre les mouvements de base et les institutions censées les soutenir, et ces tensions doivent être abordées ouvertement, avec discernement et responsabilité.

Avec la CCYPS, je développe la bibliothèque JPS. C’est une plateforme numérique qui rassemble des ressources universitaires et politiques destinées aux jeunes artisans de la paix et à leurs alliés. Il s’agit d’un pas en avant pour rendre la recherche plus accessible et plus utile pour ceux et celles qui travaillent sur le terrain. Avec le soutien du RIRC et du Mauro Institute for Peace & Justice de l’Université du Manitoba, ce projet est construit dans le même esprit de collaboration et de justice que celui qui guide mon travail universitaire et professionnel. L’objectif n’est pas seulement de partager des connaissances, mais aussi de faire évoluer le pouvoir.

Le savoir engagé est un outil puissant pour le changement social. Cela nécessite de l’humilité, de la collaboration et une volonté de recentrer l’attention sur ceux et celles qui sont trop souvent exclus de la prise de décision. Pour moi, cela signifie écouter attentivement l’histoire des jeunes et travailler à leurs côtés pour élaborer des processus de paix plus justes et durables. Cela signifie également qu’il faut reconnaître les limites des espaces universitaires et trouver des moyens de briser les frontières du travail dans ces espaces, pour connecter les communautés, les cercles politiques et les espaces de mouvement.

L’agenda JPS ne consiste pas à cocher des cases ou à créer de nouvelles tables de jeunes dans des institutions existantes. Il s’agit de redéfinir ces institutions afin qu’elles reflètent les réalités, les priorités et le leadership des jeunes. Il s’agit de combler les fossés générationnels, de remettre en question la concentration du pouvoir et de cocréer une approche plus équitable de la paix et de la sécurité. Alors que nous célébrons des anniversaires importants dans le domaine de la JPS et que nous réfléchissons au travail qu’il nous reste à accomplir, j’espère que cette recherche contribuera à jeter des ponts entre la recherche et la pratique, entre les générations et entre les nombreuses communautés qui œuvrent en faveur de la paix.


À PROPOS DE LA LAURÉATE

Katrina Leclerc est candidate au doctorat et professeure à temps partiel en études des conflits à l’Université Saint-Paul. Ses recherches portent sur la consolidation de la paix avec une prise en compte du genre et de l’âge, l’engagement des jeunes et l’intersection de la recherche et de l’élaboration des politiques dans les zones touchées par les conflits. Katrina est coéditrice de l’ouvrage Youth Leading Change : Emerging Sites of Knowledge in Peace and Conflict (Palgrave Macmillan, à paraître en 2025). Cet ouvrage explore la place des jeunes en tant que producteurs de connaissances dans le cadre du programme mondial de JPS.

Katrina était auparavant directrice de programme à Global Network of Women Peacebuilders. Son travail a été cité comme une meilleure pratique dans de nombreux rapports du Secrétaire général des Nations unies sur la JPS au Conseil de sécurité. Elle a conseillé les gouvernements du Canada, du Tchad, de la RDC, du Kenya, du Liban, du Népal et du Rwanda sur l’élaboration et la mise en œuvre de politiques nationales en faveur des FPS et des JPS. De 2021 à 2024, elle a également dirigé un stage de recherche de troisième cycle avec le NYU Center for Global Affairs, faisant le lien entre la recherche universitaire et la pratique de la consolidation de la paix dans le monde réel.

Elle est actuellement présidente du Réseau Femmes, Paix et Sécurité – Canada (WPSN-C) et conseillère auprès de la CCYPS.