Sarah Demedeiros est lauréate du Prix 2025 du RIRC pour son projet Mise en récit numérique sur la santé et le bien-être intergénérationnel : une approche décolonisée de la dissémination et de la préservation du savoir des aînés autochtones en matière de savoir sur la santé.
À PROPOS DU PROJET
Contexte : Depuis des temps immémoriaux, les peuples autochtones ont assuré la continuité culturelle, la cohésion sociale et le bien-être intergénérationnel grâce à de riches traditions de partage des connaissances fondées sur la relation et la réciprocité. Les aîné.e.s jouent un rôle central en tant que gardien.ne.s du savoir et guides culturel.le.s. Des pratiques telles que la narration constituent des formes significatives de transmission et de traduction des connaissances. La mise en récit renforce les relations de Création et crée des liens entre le passé, le présent et l’avenir. Le partage des connaissances par le biais de la narration soutient l’identité culturelle. Il est essentiel à la survie des systèmes de connaissances autochtones et au bien-être des générations futures.
Contrairement aux processus de partage des connaissances autochtones, qui sont dynamiques, relationnels et profondément ancrés dans les contextes culturels, les approches d’application des connaissances (AC) couramment utilisées dans la recherche en santé sont souvent guidées par des cadres occidentaux qui mettent l’accent sur la diffusion linéaire et les modèles hiérarchiques de données probantes. Ces modèles limitent l’intégration des perspectives autochtones et leurs visions du monde dans la recherche en santé et peuvent entraver la capacité des communautés à exercer leur autodétermination et leur autonomie dans le cadre du processus de recherche. Si la nécessité d’approches d’AC plus sensibles à la culture est de plus en plus reconnue, les modèles pratiques qui permettent une AC éthique et réciproque entre les communautés autochtones et les partenaires universitaires sont encore en train d’émerger.
Approche : Ce projet est centré sur le leadership du groupe Grandmothers’ Wisdom Network (GWN). C’est un cercle de cinq aînées et gardiennes du savoir des Premières Nations et des Métis des Traités 6, 7 et 8 et du groupe métis Otipemisiwak (anciennement Métis Nation of Alberta). Depuis 2018, le GWN consacre ses efforts au rétablissement et au renforcement de la santé et du bien-être des familles et des communautés autochtones en partageant ce qu’elles savent sur la manière de vivre une bonne vie. Soutenu par le laboratoire de recherche CARE de Dre Stephanie Montesanti à l’École de santé publique de l’Université d’Alberta, le GWN s’est associé à Sarah Demedeiros, étudiante en maîtrise, dans le cadre de son travail de thèse. Le GWN et l’étudiante ont conçu ce projet pour combler les lacunes de la recherche sur l’AC et partager la sagesse des grands-mères.
Fondé sur un paradigme de recherche autochtone, le projet de recherche participative communautaire a exploré la manière dont la mise en récit numérique (MRN) (une pratique artistique qui intègre la voix, les images et la mise en récit) peut servir d’approche décolonisatrice de l’AC. Tout en créant des histoires numériques pour les jeunes générations, les grands-mères ont évalué la MRN en tant qu’outil culturellement adapté pour partager et honorer le savoir des aîné.e.s dans la recherche sur la santé. On a également réfléchi à la nature des connaissances qui devraient être partagées, à la manière dont ces connaissances devraient être partagées et avec qui, offrant ainsi un aperçu des approches éthiques et respectueuses de l’échange de connaissances dans le cadre de partenariats entre la communauté et les universités.
Le projet intitulé La mise en récit numérique sur la santé et le bien-être intergénérationnel : Une approche décolonisée de la diffusion et de la préservation du savoir des aînés autochtones dans la recherche en matière de santé était un véritable exemple de cocréation et de leadership partagé. Chaque aspect du projet, de la conceptualisation du sujet de recherche, à la sélection des méthodologies de recherche (y compris la manière dont les connaissances ont été recueillies, interprétées et diffusées) en passant par la gestion des connaissances après la recherche, a été choisi selon une approche de respect et de relations réciproques.
Les connaissances nécessaires à ce projet ont été synthétisées lors d’une série de cercles de partage fondés sur des cérémonies et des récits, ainsi que lors de sessions de travail en ligne de la MRN. Avec le soutien de l’équipe d’engagement des patients de l’unité de soutien SPOR de l’Alberta (AbSPORU), les grands-mères ont guidé la création d’histoires numériques pour transmettre des messages et des enseignements clés qui favorisent la (re)connexion culturelle entre les jeunes générations. Les réflexions partagées tout au long du processus de MRN et les discussions dans les cercles de partage ont été analysées en utilisant une approche participative, où les grands-mères ont revu et approuvé les thèmes émergents et offert des interprétations fondées sur leurs expériences vécues et les systèmes de connaissance locaux.
Chaque grand-mère a reçu des copies de son histoire numérique. Elle peut ainsi la partager avec sa famille et sa communauté d’une manière qui reflète ses propres intentions et relations. Nous explorons actuellement des plateformes en ligne pour accueillir respectueusement ces récits. Le but est d’élargir le public cible, en particulier le public des personnes qui sont déconnectées de leurs communautés et qui n’ont pas accès aux enseignements et aux connaissances transmis par les aîné.e.s.
Résultats : Les résultats de cette étude reflètent la diversité des antécédents culturels et des systèmes de connaissances des grands-mères, qui englobent les modes de connaissance des communautés Dene, Plains Cree, Woodland Cree, Blackfoot et Métis. Les résultats prennent la forme de conseils utiles sur l’utilisation de la MRN en tant qu’approche adaptée à la culture pour l’engagement des connaissances des aînées et leur partage dans le contexte de la recherche sur la santé. Le projet a aussi donné lieu à des réflexions clés destinées aux partenaires universitaires afin qu’ils soient mieux outillés pour s’engager dans une AC éthique et respectueuse avec les communautés.
Les grands-mères ont cerné divers avantages de la MRN, notamment sa capacité à honorer les traditions orales, à préserver et à améliorer l’accès aux connaissances culturelles, et à favoriser la guérison personnelle et intergénérationnelle. En faisant une place centrale aux Autochtones dans la recherche sur la santé et en s’engageant dans un partage respectueux des connaissances et en adoptant des protocoles culturels locaux, la MRN est apparue non seulement comme une approche de l’AC adaptée à la culture, mais aussi comme un acte de reconquête culturelle et de résistance coloniale. La MRN a soutenu le partage autonome des connaissances, permettant à chaque narrateur de déterminer ce qui est partagé et diffusé, comment et avec qui. Notamment, la MRN élimine le rôle du « chercheur.se » du processus d’AC et positionne les conteur.se.s en tant qu’expert.e.s. Ce changement fondamental de pouvoir a permis de partager les histoires directement, sans qu’il soit nécessaire de les « traduire », honorant ainsi les voix autochtones en partageant leurs vérités, leurs histoires et leurs connaissances.
Des considérations éthiques clés, telles que la confiance, les relations, le respect, l’appropriation, le contrôle et l’autonomie, ont été soulignées comme étant essentielles pour promouvoir une AC adaptée à la culture. Les grands-mères ont souligné que les approches dominantes du partage des connaissances autochtones dans la recherche sur la santé négligent souvent l’importance des liens relationnels et ne tiennent pas compte de l’objectif : favoriser la santé et le bien-être intergénérationnels. Les grands-mères souhaitent l’importance pour les partenaires universitaires d’être plus responsables lorsqu’ils accordent la priorité à la guérison et à la réconciliation avec les communautés dans le cadre de la recherche, et pour qu’ils respectent la propriété et l’autodétermination autochtones tout au long des processus d’AC. Elles rapellent que si les connaissances partagées dans le cadre de la recherche peuvent émerger de relations de confiance, elles ne sont pas toujours destinées à être largement diffusées, au-delà de ces relations. Les grands-mères ont exhorté les partenaires universitaires à résister face à l’influence persistante des pratiques de recherche coloniales et à accompagner les communautés autochtones de manière à honorer la souveraineté, l’autodétermination et la responsabilité relationnelle.
Conclusion : La MRN est apparue comme une approche d’AC respectueuse de la culture, autodéterminée et qui modifie la dynamique du pouvoir dans la recherche. Elle crée un espace pour un engagement équitable et placé les voix, les enseignements et les visions du monde autochtones au centre de l’AC, en veillant à ce que les connaissances soient partagées d’une manière qui respecte les protocoles et les valeurs culturelles. Reconnaître le récit comme une forme distincte et vivante d’AC permet d’affirmer le rôle vital du récit dans l’établissement de liens, le renforcement de la compréhension relationnelle et le maintien de la vie et du bien-être des communautés à travers les générations. Les réflexions partagées par les grands-mères fournissent des orientations essentielles pour le domaine de l’AC. Elles nous rappellent que le partage des connaissances est un processus sacré et relationnel fondé sur les principes de réciprocité, de respect et de responsabilité. Le partage des connaissances autochtones va au-delà de l’échange d’information; il s’agit d’un acte d’engagement dans des relations avec une intention, une attention et une responsabilité profondes envers l’ensemble de la Création – nos ancêtres, la terre, les plantes et les animaux, ainsi que les générations futures.
À PROPOS DE LA LAURÉATE
Sarah Demedeiros est chercheuse en santé publique non autochtone, originaire des territoires traditionnels des Premières Nations, Esquimalt et Songhees de l’île de Vancouver. Sarah est titulaire d’un baccalauréat en sciences biologiques et d’une maîtrise de recherche sur les politiques de santé de l’École de santé publique de l’Université de l’Alberta. En décembre 2024, Sarah a soutenu avec succès son projet de maîtrise sous la direction de Dr Stephanie Montesanti. Sarah a reçu une formation spécialisée dans le laboratoire de recherche CARE (Collaborative Applied Research for Equity in Health Policy and Systems) de Dr Monesanti, où elle a développé ses compétences et sa passion pour la recherche communautaire, la politique de santé appliquée et la recherche sur les systèmes.
Sarah a eu l’honneur de travailler et d’apprendre auprès du GWN, un cercle de cinq aînées et gardiennes du savoir respectées des Premières Nations de l’Alberta. Grâce à leurs enseignements, Sarah a approfondi sa compréhension des modes de connaissance et d’existence autochtones et a appris ce que signifie s’engager dans une recherche guidée par le respect culturel, l’humilité et la relation.
Sarah a été acceptée à l’Institute of Health Policy, Management and Evaluation (IHPME) de l’Université de Toronto, où elle commencera son doctorat sur les systèmes de santé à l’automne 2025.