Sarah Law a reçu honorable mention pour le Prix pour le savoir engagé du Réseau Impact Recherche Canada 2023 pour son projet, « Résistance et résilience à l’ère du deuil écologique ».
À propos du projet
La justice climatique est un mouvement de lutte qui s’inscrit dans un avenir où personne n’est laissé pour compte. Il s’agit d’une lutte pour la redistribution équitable des richesses, la restitution des terres autochtones et l’abolition des systèmes oppressifs d’expulsion et d’incarcération et son but est que toutes les espèces puissent prospérer. Dans mon travail auprès de défenseur.se.s de la justice climatique dans le cadre de ce projet et d’organisatrice de mouvement depuis sept années, j’ai eu la chance de mener des recherches significatives et engagées ancrées dans une position de compassion au sein même de mes communautés.
Après avoir parlé avec des défenseur.se.s de la justice climatique de leur expérience du deuil écologique et de la manière dont les émotions influencent leurs actions, il m’est apparu évident qu’il fallait mettre en évidence la nature politique et sociale des émotions liées au climat. L’anxiété, la colère et la peur ne sont pas le résultat d’un manque d’effort individuel ou de dévouement à la cause ni ne sont le fait du simple surmenage et de l’épuisement. À la source de ces émotions, se trouvent des systèmes axés sur le capitalisme et la suprématie blanche qui ont eux-mêmes créé et qui entretiennent la crise climatique. La peur, la colère et la panique ne sont pas seulement causés par les dommages qui menacent les écosystèmes, comme la pollution des océans, les émissions de CO2, la fumée des incendies de forêt ou les marées noires. Ces émotions s’inscrivent dans un cycle qui comprend aussi l’acceptation d’échecs décevants et frustrants face à la mise en œuvre d’actions climatiques structurelles aux niveaux politique, social, individuel et collectif.
Grâce aux témoignages recueillis, j’ai conçu un schéma du deuil écologique en six étapes : 1. la peur et l’urgence; 2. le déni et l’accablement; 3. la frustration et le marchandage; 4. le désespoir et la dépression; 5. la colère et la rage; et 6. l’acceptation et le deuil. À chaque étape, les personnes perçoivent différemment les systèmes qui créent et qui entretiennent la crise climatique, ce qui, par effet de ricochet, a un effet sur leur perception de la crise climatique en tant que problème systémique nécessitant des changements sociaux radicaux. Dans mes travaux, je me penche sur les émotions de société à travers les théories féministes de l’affect. Ainsi, je propose le deuil écologique comme une réponse concrétisée et affective, soit un deuil continu qui façonne la compréhension de la crise climatique et qui constitue un enjeu systémique empreint de pertes environnementales, d’espoirs pour l’avenir, et de croyances profondément ancrées dans les réalités sociales et politiques. Dans un contexte de deuil de société, les émotions prennent vie – elles nous transportent, nous émeuvent et nous rapprochent les uns des autres.
Grâce aux théories de l’affect, j’élargis la notion de deuil écologique en l’éloignant du deuil associé exclusivement à la perte de l’environnement. Il s’agit plutôt du deuil de nos idéaux de société équitable et juste, ce qui suscite des sentiments de désespoir et de dépression, de colère et de rage. À chacune des étapes est associée différentes émotions, qui sont non seulement influencées par l’objet de la crise climatique, mais aussi par les politiques, la politique, les gouvernements, les banques et les entreprises. La crise climatique est le symptôme des systèmes de suprématie blanche : le capitalisme, le patriarcat, le colonialisme et l’impérialisme. La théorie de l’affect permet d’établir un cadre théorique de sentiments, et de structurer les réponses émotives face à la crise climatique en tant que problème structurel et politique. On atténue ainsi les risques de théoriser l’émotion comme une responsabilité individuelle de guérison ou comme un échec moral personnel.
Je m’appuie sur un cadre basé sur le désir et l’imagination radicale. Ce sont des outils que l’on retrouve à la fois dans la stratégie de base de l’organisation et dans la littérature environnementale radicale. Tous les militant.e.s ont exprimé à quel point ils chérissent les rares occasions qu’ils ont de parler de leur chagrin sans craindre d’être ridiculisés et à quel point ils étaient heureux d’avoir partagé leurs rêves et leurs visions d’un avenir climatique juste. Dans ces moments de partage d’espoirs pour l’avenir, de sources de motivations et de détermination à construire la communauté, nous avons vu que les positions les plus radicales viennent souvent des parties les plus tendres de nous-mêmes.
À propos du honorable mention
Sarah Law est étudiante à la maîtrise en sociologie, spécialisée en économie politique, à l’Université Simon Fraser. Elle est organisatrice et facilitatrice pour le mouvement de justice climatique, ce qui a motivé son mémoire de baccalauréat sur le deuil écologique, l’action climatique et la politique du deuil. Elle s’intéresse aux économies morales et affectives, au néolibéralisme, à la production et à la mobilisation des connaissances, au deuil écologique, à la création d’un monde meilleur, aux pratiques de soins et aux affects du capitalisme à retardement.
Outre son mémoire de maîtrise, ses projets comprennent des activités au sein de DoingSTS, des ateliers sur l’écochagrin et l’organisation de la conférence sur le climat Holding Climate Emotions (conférence sur la justice climatique dans laquelle on explore des témoignages d’écodouleur, le recours à l’imagination comme protestation politique et la libération collective à travers une série d’ateliers dirigés par de jeunes activistes, des présentations de recherche et un dialogue réflexif).