2023 lauréate du Prix pour le savoir engagé du Réseau Impact Recherche Canada (catégorie maîtrise) : Ashley Kyne

Ashley Kyne a reçu le Prix pour le savoir engagé du Réseau Impact Recherche Canada 2023 pour son projet, « Un examen culturellement éclairé des liens de criminalité chez les personnes autochtones ».

À propos du projet

Saviez-vous que les Autochtones représentent 4,5 % de la population adulte canadienne, mais qu’ils représentent 26,3 % de toutes les nouvelles admissions dans les prisons fédérales? Par rapport aux délinquant.e.s non autochtones, les délinquant.e.s autochtones sont surreprésentés au sein de la population placée en détention préventive et parmi les personnes dont la libération conditionnelle est révoquée. En général, ils sont aussi libérés plus tard au cours de leur sentence. On observe les mêmes tendances chez les populations autochtones des États-Unis, d’Australie et de Zélande. Ainsi, malgré des différences de culture et d’expériences, les groupes d’Autochtones sont confrontés à des défis similaires quand il est question d’efforts pour renforcer l’équité et l’efficacité des systèmes judiciaires de tradition européenne.

Presque toutes les décisions prises par les systèmes de justice criminelle sont influencées par une évaluation formelle ou informelle des risques de récidive de l’individu. Cette évaluation comprend entre autres la détermination du niveau de sécurité, et la prise en compte de la peine imposée et du traitement. L’évaluation des risques peut être considérée comme un outil de pronostic. Dans la pratique, on traite les choses dans un schéma dichotomique, sans tenir compte du fait que le risque existe sur un continuum, dans lequel la récidive est restreint au seul degré de dangerosité. Le risque est établi à partir de plusieurs facteurs qui décrivent si le risque associé à un individu est plus ou moins dangereux.

Dans l’évaluation des risques, il importe de cerner des stratégies pour réduire la surreprésentation des Autochtones dans les prisons. À l’heure actuelle, les outils de base de l’évaluation des risques et des facteurs de risque ont tendance à être plus efficaces pour prédire la récidive chez les délinquant.e.s non autochtones que chez les délinquant.e.s autochtones. En outre, ces derniers sont plus susceptibles d’être classés comme délinquant.e.s à haut risque. Il faut donc s’attarder à cet aspect, qui n’a d’ailleurs pas été exploré dans la recherche ni pris en compte dans les pratiques en matière d’évaluation des risques. Cela revêt une importance toute particulière dans le contexte de l’arrêt de la Cour suprême du Canada concernant l’applicabilité des outils d’évaluation des risques aux délinquant.e.s autochtones (Ewert c. Canada, 2018). Dans cette affaire, Jeffrey Ewert, un prisonnier métis incarcéré dans une prison fédérale, soutenait que les échelles d’évaluation des risques utilisées par Service correctionnel Canada n’avaient jamais été validées auprès des populations autochtones, et qu’ils étaient par conséquent préjudiciables en raison du risque de discrimination qu’ils comportaient. La Cour a ordonné un examen approprié des outils d’évaluation des risques pour les délinquant.e.s autochtones.

Nous savons que les échelles d’évaluation des risques ne fonctionnent pas aussi bien pour les délinquant.e.s autochtones, mais nous ne savons pas pourquoi ni comment améliorer les pratiques d’évaluation des risques. Pour le savoir, il faut s’attarder à deux volets essentiels : le contenu et le processus. À l’heure actuelle, aucun outil d’évaluation des risques n’a été développé en tenant compte des spécificités culturelles ou des facteurs de risques spécifiques à la culture des délinquant.e.s autochtones.

Les facteurs de risque spécifiques à la culture peuvent être le résultat de la marginalisation historique et continue dont a fait l’objet les peuples autochtones, notamment la colonisation, les traumatismes intergénérationnels et les pensionnats. Il a été établi que ces facteurs de risque ont une incidence sur le statut social et économique des populations autochtones. De ce fait, il est fort probable qu’il y ait un lien à établir avec la délinquance criminelle.

Malgré qu’il existe encore peu d’études sur l’évaluation des risques, il est évident qu’une approche plus globale de la collecte de données qui tient compte de la culture est nécessaire afin d’explorer les facteurs de risque spécifiques à la culture des délinquant.e.s autochtones. Pour combler cette lacune dans la recherche sur l’évaluation des risques, nous avons mis au point un questionnaire qui aborde la question de la culture et qui est axé sur des enjeux uniques ou présents de manière disproportionnée chez les populations autochtones en Amérique du Nord. Dans la méthodologie de recherche et la stratégie de recrutement, nous avons accordé une grande attention aux efforts de décolonisation et aux consultations avec des parties prenantes autochtones ayant une grande expérience de travail avec les peuples autochtones. Historiquement, les chercheur.se.s ont utilisé une « approche par hélicoptère », c’est-à-dire qu’ils arrivaient dans les communautés autochtones, y recueillaient des données, puis en partaient plus ne plus jamais y revenir. Ainsi, les chercheur.se.s en sciences sociales ont réduit les peuples autochtones à des chiffres, sans tenir compte de leur histoire.

Malgré que nos objectifs soient essentiellement quantitatifs, nous comptons apporter une perspective différence en intégrant à notre étude les récits et les expériences des peuples autochtones. Pour ce faire, nous établirons des liens entre les chiffres et les personnes et leurs histoires. Ces pratiques de collecte de données sont conformes aux principes de respect et de réconciliation et ont le potentiel de transformer nos relations avec les peuples autochtones. Il s’agit d’un élément clé de l’étude. Les populations autochtones ont enfin leur mot à dire dans la création du savoir, l’interprétation des données et la diffusion de la recherche sur l’évaluation des risques qui les concernent. Reconnaître l’importance de la culture dans le système judiciaire est la première étape pour résoudre le problème de l’iniquité de la justice pour les délinquant.e.s autochtones, et l’évaluation des risques pourrait être notre meilleure solution.


À propos de la lauréate

Ashley Kyne est iTaukei et étudiante en master à l’école de criminologie de l’Université Simon Fraser. En 2022, Ashley a obtenu sa licence en criminologie (avec mention) et en études autochtones. Dans sa recherche, Ashley conjugue ses deux passions (la justice autochtone et l’évaluation des risques chez les délinquant.e.s). Elle cherche ainsi à mieux comprendre les facteurs de risque associés à la culture chez les délinquant.e.s autochtones. En tant que boursière Joseph-Arman Bombardier du CRSH, médaillée du lieutenant-gouverneur et membre diplômée du CERI, et maintenant, récipiendaire du Le Prix pour le savoir engagé du Réseau Impact Recherche Canada 2023, Ashley poursuit ses recherches sur les facteurs de risque et de protection dans les pratiques d’évaluation des délinquant.e.s autochtones.